Ma première ruche

ruche au pied d'un arbre un essaim suspendu à une brancheUne légende, aux temps des pyramides, racontait le dieu Râ traversant dans sa barque céleste l’azur de l’orient à l’occident ; de cesse il n’avait chaque jour de faire renaître la nature. Des forêts luxuriantes aux plaines parées de teintes multicolores, des mille éclats scintillant des rivières à la beauté époustouflante des animaux, le spectacle vu du ciel était un enchantement à ses divins yeux. La ligne d’horizon que le dieu soleil s’apprête à franchir, est seule témoin, au jour finissant, des états d’âmes du céleste voyageur. Dissimulées par l’embrasement du ciel, d’obscures forces s’éveillent d’une apparente léthargie et profitent du crépuscule pour infliger sous couvert d’un manteau-nuit, de profondes blessures à la Terre.

Seule la douce aurore, repoussant de ses frêles mains vers le couchant le ciel-nuit muant en indigo puis en bleu jour, révèle de ses cris étouffés l’étendue du carnage : forêts détruites, prairies dévastées, cours d’eau souillés, animaux tués… Guerre d’un autre temps qu’actualisent d’opposants au jour, préférant la nuit humide et boueuse à la moins facile claire réalité.

L’inlassable Râ disperse alors dans les six directions ses légions de rayons bienfaisants, œuvriers de la Lumière rassemblant et mettant en ordre tout ce qui a été éparpillé sur la surface du globe. Dieu solaire debout dans sa barque céleste, il contemple à la fin du jour le travail loyalement accompli ; une larme glisse sur sa joue, est-ce l’émotion suscitée par la recréation de la planète, la magnificence de la vie, la perspective d’un autre demain de dur labeur ?

Larme tombée de sa joue s’est transformée en abeille. « L’abeille est née des larmes du soleil » dit la légende.

Nommer l’abeille, disaient les Égyptiens, c’est déjà la créer, c’est la re-connaître. Son nom et tout ce qui s’y rattache sont chargés d’un profond mystère. Symbole du nom caché, l’abeille serait selon les anciens la messagère de celui que l’on invoque, bout de la langue pincée entre les dents serrées.

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Perché sur l’échelle adossée à l’arbre de mai, une petite caisse dans la main, j’accroche l’enfumoir à ma ceinture après avoir généreusement enfumé l’essaim. D’un geste sec et précis je secoue la branche, la grappe murmurante tombe à l’intérieur de la caisse tapissée d’une étoffe blanche.

Pouvoir de la langue, capable dans l’instant même de transformer en une prometteuse ruchette, une simple caisse de bois. L’agitation laisse place au geste, geste activateur d’un interne mouvement poussant en dehors des limites du corps, la parole. Parole libératrice du jaillissement de l’esprit.