Autel de l'église de Saint-JursLorsque la foudre a frappé l’église de Saint-Jurs en 1992 et que l’employé municipal de l’époque fut envoyé sur place pour constater les dégâts il était loin de se douter de l’étendue de la catastrophe. La première chose qui attira son attention ce fut le vitrail de la nef qui avait été soufflé en grande partie, laissant la fenêtre béante, ouverte aux quatre vents. Des lambeaux de plomb et de verre pendaient dans le vide tandis qu’une mosaïque de débris colorés jonchait le sol. Comme beaucoup d’autres personnes d’ici il ne se sentait pas concerné plus que ça par la religion ; respectueux du lieu et des traditions locales, il faisait là son travail. Alors qu’il s’apprêtait à partir pour faire son rapport au maire, il tarda à retirer la grosse clef de la serrure, absorbé dans ses pensées : un sentiment étrange s’immisçait peu à peu dans son esprit. Il fit tourner la clef dans l’autre sens, força sur la porte, releva l’interrupteur général, gravit à nouveau de son pas sûr et nonchalant les trois marches du sas et poussa les deux portes battantes qui ouvrent sur l’intérieur de l’édifice. Ce qu’il découvrit ce jour-là demeure depuis lors une tragédie dans le cœur des gens du village de Saint-Jurs. Il constata la disparition des objets du culte, des sculptures anciennes et surtout que le brancard du Saint-patron du village était vide. La statue d’un mètre en bois doré du 18ième siècle représentant Saint-Georges terrassant le dragon avait été déboulonnée de son piédestal et emportée. Une évidence s’imposa à son esprit : « comment allons-nous faire pour la procession de l’année prochaine sans notre Saint-Georges ?… »

Chaque 23 avril, que je sois en France ou à l’étranger je me dois à cette date de me rendre à Saint-Jurs. Cela est dû au fait qu’après le pillage de l’église et la perte du Saint-patron, M. Auguste CHAUVET - Paix à son âme - m’a dit : « Sidali il faut que tu nous fasses un Saint-Georges pour l’année prochaine, on ne peut pas rester comme ça ! » Je garde vivace le souvenir de cet homme, venu dans l’intérêt de la communauté réclamer une aide. Ce Monsieur comme bien d’autres gens du bourg savent que si les rivières sont nombreuses la source est Une.

Voûte de l'église de Saint-JursPour réaliser cette sculpture il me fallait les dimensions de l’emplacement qu’occupait le Saint-patron sur le brancard. Après avoir pris les mesures, assis dans un fauteuil devant le Maître-Autel je m’attardais à regarder alentour : la déchirure dans le vitrail colmatée d’un panneau de bois, la vétusté des murs, les nombreuses tâches sombres sur la voûte, sans doute conséquences d’infiltrations d’eau ; j’avais l’intime sentiment que dans ce lieu sacré une mémoire était en train de se perdre.

Détail de la voûte de l'église de Saint-JursC’est alors qu’intrigué par la régularité de ce je croyais être des tâches d’humidité, je fis une découverte qui allait conditionner ma vie et ma pratique d’artiste. Là, sur la voûte bleue ornée d’une roue à 8 branches avec en son centre un delta rayonnant en guise d’axe de rotation, là sur cette représentation de voûte céleste où l’on trouve généralement des étoiles, là où je croyais voir des tâches d’humidité, je découvris entre les rayons de la roue, un plafond recouvert d’abeilles dorées à la feuille. L’aspect de ces bas-reliefs d’abeilles me sembla être d’époque napoléonienne, probablement inspiré par le sacre de l’Empereur et la « route Napoléon » proche du village[1].

Sidali levant les yeus vers la voûte de l'église de Saint-JursCe n’est que vingt ans plus tard, ce 23 avril 2010 en compagnie de Luc CHAUVIN à qui l’on doit ces photos, que je remarque dans la partie centrale de la roue à 8 branches une décoloration circulaire.

Sans savoir vraiment pourquoi, me vient à l’esprit une pensée :« et si c’était là, sous cette voûte de l’Apé, que s’assemblaient jadis les légendaires Cueilleurs de ciel… »

Au moment précis où tu as l’impulsion de faire quelque chose, arrête-toi. Alors n’étant plus dans l’élan qui précède ni dans celui qui suit, la réalisation s’épanouit avec intensité.

Notes

[1] ” L’art est avant tout un moyen d’expression, une création de notre esprit dont la nature n’est que l’occasion “ Maurice DENIS